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Mots sur les livres

A propos du Labyrinthe des jours, publié au Castor astral

Cécile Guivarch pour Terre à ciel, février 2022.

C’est Joie de retrouver Mélanie Leblanc avec ce nouveau livre, Le Labyrinthe des jours. A partir du mythe d’Ariane, elle déroule le fil de l’intime soi. Elle parcourt ces couloirs intérieurs, ouvre son désir à la vie, libère le corps, libère le souffle, affirme la féminité, l’audace de vivre. Elle rend hommage à la femme, à toutes les femmes depuis nos grands-mères, à celles qui se sont sacrifiées et saignent chaque mois. Mélanie Leblanc poursuit la quête de couper les liens de douleur qui unissent les femmes et d’être reliée / à toutes les femmes.

« Depuis des années, on me tient éloignée du labyrinthe par la peur. Celle des monstres, du péché et de la honte. »

Mélanie Leblanc décide de laisser entrer Ariane dans le labyrinthe. Elle entame ce parcours et petit à petit découvre qu’ on ne s’y perd pas on s’y trouve. Parcours dans lequel tirer le fil d’un nous depuis un paquet de nœuds dans (s)on ventre. Cette marche dans le labyrinthe est longue. Souvent il faut prendre de nouveaux chemins, des décisions sans revenir en arrière, prendre le temps nécessaire.

« Si je vais trop vite vers la sortie       le labyrinthe n’aura pas fait son travail en moi »

Dans les poèmes, Mélanie Leblanc utilise des tirets, plus ou moins longs, des slashs, des espaces. Cette typographie accentue une avancée de parcelle en parcelle. Permet de relier les mots entre eux et de se relier à eux. Si le mot sexe se dresse, si à un moment n’être plus qu’un corps et désir, il s’agit avant tout de marche, d’une quête de soi. Il s’agit d’oser, de se laisser traverse(r) par le plus simple - l’immédiat - la joie. La joie de la marche, de la lumière, de la pluie - respirer tout simplement.

L’imaginaire est au rendez-vous. Le corps comme une île. Le corps étendu sous la lune. Les sens sont en éveil. Le soi prêt à accueillir nuit, arbre, air, pluie et lumière. Prêt à accueillir ciel.
Apprentissage. Acquérir la confiance, le lâcher prise, la sensation d’être vivante et combien vivante, sans rien attendre de la vie, VIVRE, être Soleil. Se relier au monde, à tout ce qui bat, tout ce qui le traverse. Tout simplement se Trouver : « je me suis trouvée j’ai accueilli l’animal en moi ». Mélanie Leblanc, je me souviens m’avait montré timidement quelques poèmes il y a quelques années. C’était les premiers poèmes de Les falaises. J’ai su d’emblée que j’avais affaire à une voix essentielle de la poésie. Et quelle joie de constater le chemin qu’elle a parcouru... Quelle joie ce livre ! A mettre entre toutes les mains.


Florentine Rey, 26/10/2021.


Le labyrinthe des jours de Mélanie Leblanc qui vient de paraître au Castor astral est une célébration. Célébration du vertige né de la passion, célébration de la communion des mondes et de toutes leurs mémoires, célébration du féminin et de ses forces de liaison, de sa volonté d’accepter ce qui est, de « s’y trouver », célébration de l’abandon et de la force de la douceur.
On voyage dans un lieu à la fois identifié et inédit. Mélanie Leblanc renverse le mythe, recréé le labyrinthe, femme bâtisseuse créatrice d’elle-même, indocile, qui se relie à toutes les femmes pour « couper les liens de douleur ». À la lecture on tient le fil, constitué de signes de ponctuation judicieusement agencés. Le tiret des commencements, présence-absence la relation, s’étire à la rencontre de l’espace à l’intérieur de soi que l’autre « enchainé » n’a pas réussi à murer. Ce tiret d'abord perçu comme un halètement, un souffle interrompu par l’impatience des rencontres devient « / », cloison poreuse qui ouvre l’espace et le temps entre les mots, créé des ponts. Le rythme s’accélère, une nouvelle énergie s’empare de la narratrice qui se redresse en même temps que le signe devenu bientôt bâton de pèlerin pour finalement disparaître sur un « inspire » (page 55) et nous plonger dans « l’ouvert ».
La langue est parfois envahie par le signe, voir la très belle page 32 ou le point d’exclamation bascule pour devenir goutte : il pleut sur la page, le mot et la chose entièrement reliés.
Ce qui est attendu est « homme » mais aussi cosmique, « venu du fond des temps ». Écrire est ce rappel, cette restauration, écrire créé des repères sur les murs de l’obscur et permet à la narratrice de se réinscrire dans le temps, de ne pas rester figée, devenue automate en réponse à l’autre qui ne peut rien donner. Écrire pour continuer à donner et « recevoir davantage », c’est bien ce courage, cette générosité, cette énergie qui déplace les murs, cette sensibilité et cette ouverture que l’on reçoit à la lecture du Labyrinthe des jours.


Yves Boudier, Poezibao, 6/10/2021.

La note de lecture complète

Extraits : 

Poème après poème se confirme mon pressentiment d’avoir à faire à quelque chose de marquant, de fort, dans le grand tout des écritures poétiques d’aujourd’hui qui nous cernent souvent plus qu’elles ne nous appellent.
(...)
L’esperluette joue pleinement son rôle. Le fil d’Ariane ne remonte plus vers l’origine, centre pulsionnel. Il ne guide plus la main tandis que l’autre se frotte au corps de pierre, à la paroi dermique de l’absent. Le fil devient son, filet de voix et chant pythique, la clef ouvrant les orifices du corps, leur danse sous la lyre d’Éros, « aria » (p. 84) nue et ceinte d’éternité.
(...)
La lame sacrée tranche le cordon du jour et une nuit lumineuse habille de ses couleurs solaires celle qui dénonce l’illusion de l’attente. De la sorte, s’impose le retour à soi, dans l’abandon de la dialectique déceptive du je et du tu : « j’ai le monde / à embrasser » (p. 76) (...)



Anne Kiesel, Ouest France, 4/10/2021.



A propos de Des étoiles filantes, publié chez Les Venterniers.


Nicolas Gary, revue ActuaLitté, décembre 2018.


Dans ce nouveau recueil, Mélanie Leblanc travaille le souhait comme une forme d'expression poétique : 99 voeux, autant d'audaces, au défi de la simplicité. Un ouvrage fait-main dont la boucle qui relie les pages peut s'ouvrir afin de permettre au lecteur de les offrir. "C'est d'abord ce que je me souhaite à moi-même" : d'où sans doute la force de ces 99 souhaits. Mais les voeux très tôt s'étendent à l'autre. Les mots clairs, joueurs, magiques de Mélanie Leblanc déplacent le regard sur la face lumineuse du quotidien. Ici étincelle, là feu de joie. Une écriture légère, dans le sillon des poètes populaires, mais aussi performative. Et si elle a un pouvoir, c'est celui de presser sur la touche on. Pour ce recueil, Mélanie Leblanc a instauré une démarche de création particulière. Ces souhaits sont nés en route, au bord des falaises, sont écrits dans la rue, recopiés sur les pavés, sur les vitrines, sont lus les yeux dans les yeux aux passants, sont typographiés et envoyés, sont photographiés, postés, exposés, ils sont postés au fur et à mesure comme autant de sentinelles guettant le manuscrit final - et le recueil prend corps dans un travail d'écriture constamment mis à l'épreuve de l'autre. A notre tour de se mettre à lire à haute voix. A noter : les pages sont assemblées pour mieux se décrocher, le bloc est fait pour se disloquer, les souhaits pour être partagés (c'est bien assez pour semer).

Sabine Faulmeyer, Le petit carré jaune.

(...)Des souhaits comme une générosité, celle que l’on n'ose plus exprimer, celle que l’on retient pour ne pas éclabousser, déborder. Des souhaits de cœur, des souhaits cachés, des souhaits qui viennent du placard à balais, celui des monstres et des cauchemars qu’on apprend à apprivoiser. (...) Des souhaits qui prennent soin de ta solitude, de toi, de ceux qui sont là, de vous, de moi. Des souhaits de voir les yeux fermés.

Des souhaits courts comme on peut les souhaiter longtemps.

Des souhaits qui nous donnent à croire à la victoiredu sauvage et du fragile, du beau. (...)Des souhaits pour tous ceux dont on ne voit plus les corps, ni les regards, ceux qui disparaissent sans laisser de trace et qui accordent du rythme à tout ce qui bat.(...)
Des souhaits pour les colères saines, des souhaits pour celles et ceux qui ne souhaitent plus.(...)
Des souhaits comme Des étoiles filantes. Comme ceux de Mélanie Leblanc. Des souhaits comme des feuilles de papier reliées et qui s’envolent pour mieux être aimés.


A propos de Des falaises, publié chez Cheyne.

Judith Chavanne, revue Arpa, février 2018.

Des Falaises est le premier recueil de Mélanie Leblanc, mais non pas le recueil d’une débutante. Il y a assurément chez ce poète une longue pratique antérieure de l’écriture. Le recueil, abouti, témoigne d’un projet, d’une intention tenue, en somme d’une maîtrise.

On pourrait dire cette poésie élémentaire tant par sa concision que par l’objet – des falaises - auquel elle s’attache, qui retient le regard et inspire la méditation. On songe un peu à Guillevic, de Terraqué à Carnac et au-delà, jusqu’à Relier. Mais c’est une œuvre personnelle qu’a écrite Mélanie Leblanc, dans une poésie économe, en amont de laquelle se déploie l’attention du poète, c’est-à-dire aussi bien sa présence, tout à la fois ouverte et méditative, réceptive au dehors et au-dedans en même temps.

Car l’impression d’effacement de la subjectivité dont parle Jean-Marie Barnaud en préface à ce recueil ne signifie nullement qu’ait été oblitérée la résonance intime dans ce face à face avec des falaises. Si le sujet s’efface, la conscience sensible est là, qui anime son regard d’une interrogation plurielle. Au- delà du spectacle, les falaises, dans le dialogue que le poète, selon une tradition poétique immémoriale et renouvelée, noue avec elles, ces falaises offrent une leçon d’humanité. Peu de métaphores ponctuelles dont s’émaillerait un vers dans cette poésie, mais la falaise, en revanche, peut devenir elle-même toute entière métaphore de notre aventure humaine. Peu à peu d’ailleurs, ce statut métaphorique de la falaise s’affirme : de la leçon tirée de la falaise pour notre vie, on passe à la falaise comme image de notre vie. (...) Aussi l’humain ne déserte-t-il pas ces pages. C’est bien à notre vie, vouée à la souffrance et à la finitude, mais aussi à la grâce et au rire qu’il nous est proposé de réfléchir à la faveur de cette contemplation des falaises.

Cette méditation devant les falaises permet de tresser deux séries d’interrogations. L’une métaphysique en quelque sorte questionne notre place dans l’univers et parmi les autres, tout particulièrement au sein des lignées ; l’autre est plus attentive à nos évolutions psychologiques, aux mouvements de notre intériorité qui peut s’assimiler à un paysage avec ses sursauts, ses rehauts et ses affaissements, ses rythmes, ses chutes et ses érosions lentes. (...)

Fondamentalement, ce recueil réunit les qualités qui transforment la langue et l’expérience en poème, en chant. Un vrai rythme, témoin d’une oreille et d’une décantation anime ces poèmes dont aucun ne comporte de majuscule. Signe d’humilité ? Chacun apparaît comme le fragment d’une unité, celle de la falaise et de la méditation ou de la phrase : éclat de conscience en même temps et de roche friable.

Les falaises observées par Mélanie Leblanc lui apprennent, nous apprennent à apprivoiser notre condition fragile, ses inexorables dépouillements jusqu’à l’instant ultime (...) Mais aussi bien, et sans que la sagesse acquise par celle qui médite ce paysage conduise à un défaitisme, Mélanie Leblanc éprouve aussi dans ce face à face ce qui - pour peu qu’on sache consentir au réel - nous fait être, nous fait exister, et nous dépasser dans l’élévation.

Philippe Longchamp, revue Europe n° 1058-1059-1060

On entre ici presque comme dans du silence. Rien là cependant de hautain. Rien qui voudrait d’emblée contraindre le lecteur à remplir ce silence avec un savant échafaudage métaphysique personnel. Du concret, du simple, de l’immédiat. (...) Ainsi avance chaque page Mélanie Leblanc au sommet de ses falaises, comme le font ses pincées de vers déposés en haut de la page du bouffant ivoire, autant dire lancés dans l’espace au-dessus du vent de mer, suspendus dans cette hauteur. Et ça produit une grande liberté dans la tête du lecteur. (...) Ce qui fait le travail ici, c’est le bruit que font les mots de Mélanie Leblanc selon le rythme qu’elle leur choisit. On peut donc dire que c’est une poésie à bas bruit. Mais dans ce silence, qu’elle obtient en éliminant - garde étant prise de ne jamais basculer le vers dans l’inaudible - tout ce qui n’est pas indispensable à ce vers, l’oreille entend clair, entend même au passage, au-delà du matériau du lexique et du concret que celui-ci installe fermement, ce qui n’est pas exactement mis en mots mais bruisse.

Laurent Albarracin, sur le site de Pierre Campion 


L'objet que traite le poème de Mélanie Leblanc commande à la fois l'exaltation et la sobriété. Le plus haut lyrisme et le plus grand dépouillement. Parce qu'elle est un objet abrupt et immensément ouvert, la falaise exige de tenir ensemble ces deux partis pris esthétiques. Précisons d'emblée que l'auteure de ce premier recueil impressionnant de maîtrise et de retenue vit en Normandie. Les falaises dont il est question sont donc celles de ces bords côtiers-là, falaises de craie et de silex, falaises majestueuses mais comme rongées, mangées par le temps qui se déroule à leur pied.

Ce qui permet au poète de vanter ces falaises sans tomber dans un lyrisme par trop subjectif, de les vanter en les rendant en quelque sorte au vent et aux éléments, à leur objectivité et magnificence naturelles, disons, c'est assurément la sécheresse assumée de son écriture, sa concision. Poèmes et vers courts, verbes à l'infinitif, balancement mécanique des opposés (le lourd et le léger, le blanc et le noir, etc.), schématisme géographique quasiment abstrait (la terre, la mer, le ciel), toute cette sécheresse de l'écriture semble lui faire toucher du doigt le grain de la falaise, sa noblesse poudreuse et crayeuse comme son coupant de silice. Mais encore elle donne à voir le cœur de la falaise comme une superposition de strates, de couches accumulées de temps contraires, comme si des régimes temporels variés s'interpénétraient là, l'éphémère s'insinuant par veines plus tendres au sein de la dureté. Et puis surtout l'écriture dépouillée montre cet « ouvert » sur quoi la falaise donne. (...) Il s'agit bien avec elle de prendre une leçon de patience et de noblesse. Non pas tant parce qu'elle serait ce qui domine et surplombe l'espace de toute sa hauteur hautaine, mais parce qu'elle est de l'espace et du temps mêlés, stratifiés, et qu'à ce titre elle aussi est prise dans le grand mouvement de la vie. Friable elle est, vivante elle devient : « on appelle vivante la falaise qui meurt ».

Il y a dans le recueil un vers qui dit tout et d'ailleurs il est le seul qui soit isolé en haut de la page, comme suspendu, dans sa brièveté flottante, au dessus de la mer : « falaises élèvent dans leur chute » L'ascension a lieu par la reconnaissance du caractère éphémère de toute chose. Seul ce qui meurt tombe dans le grand cycle de la vie. Il n'y a de péremptoire et de définitif que ce qui est voué à la métamorphose et au paradoxe. La moralité de la falaise – comme chute fabuleuse et comme leçon édifiante – nous dit que la gravitation est une gravidité : elle est pleine d'une naissance, d'une meilleure connaissance de soi et d'une élévation. Sa gravité gravide est celle d'une falaise-mère.

Patrice Maltaverne, revue Revue Traction-Brabant, octobre 2016.

D'emblée, ce qui frappe le lecteur, c'est la totale adéquation entre le sujet de ce texte (les falaises) et le style de l'auteur, si je puis dire, bien tranché, bien campé, dans des vers courts, voire très courts, de un ou deux mots, comme si des mots étaient pendus au bord du vide. Derrière l'apparence des falaises, dans un aller-retour continuel entre elles et l’œil qui les regarde, Mélanie Leblanc décrit ce qu'elles représentent en nous. Ainsi, un va-et-vient s'opère entre extérieur et intérieur. Bien sûr, pour elle, les falaises sont symboles de puissance, mais également de faiblesse, bref, comme un mélange de ce qui peut résumer un être humain vivant, et aussi résumé de nos vies. Dans ces poèmes, c'est souvent cet instant de la rupture qui est reproduit, générateur à la fois de mort, mais également de libération.

Dominique Panchevre, revue Entre les lignes (revue du festival Terre de paroles, 2016).

(...) La poésie, elle l’aime, elle en lit, beaucoup. Albane Gellé fut peut-être la première rencontrée et elle occupe une place particulière dans sa bibliothèque affective. On y trouve aussi, au gré des conversations, des entretiens qu’elle aime réaliser, des festivals, des lectures, au sein du CoPo – le prix de poésie porté par La Factorie – Rémi Checchetto, qui, comme elle, dit parfois de la poésie avec des musiciens, mais aussi Perrine Le Querrec, Marlène Tissot, Fabrice Caravaca, également éditeur au Dernier Télégramme, Alexis Pelletier, et bien entendu Cécile Guivarch dont nous reparlerons plus loin, sans compter tous ceux qui ne sont plus de ce monde...

Dire que Mélanie est dans la vie est un truisme, elle est la vie, avec en écharpe un immense sourire. Sur le blog poétique animé par Cécile Guivarch, lorsque Clara Regy lui demande quels mots elle pourrait associer au mot « poésie », elle répond : « libre /voix, énergie, souffle /magie /explorer, découvrir / verbe, langue, mots /rythmes, sons /puissance, fragile /être, faire »

Sabine Faulmeyer, Le petit carré jaune

Mélanie Leblanc a tout d’une grande. Une falaise est en elle. Friable, forte, douce et tendre. Emouvant. Emotion. Beauté. (2017)
Des souhaits comme une générosité, celle que l’on n’ose plus exprimer, celle que l’on retient pour ne pas éclabousser, déborder. Des souhaits de cœur, des souhaits cachés, des souhaits qui viennent du placard à balais, celui des monstres et des cauchemars qu’on apprend à apprivoiser. (2019).